Dans En route pour Haida Gwaii (Obsidiane, 2011); Jean-Claude Caër scellait dans un poème souple et vibrant un voyage moderne vers des contemporains si peu connus qu'un atlas n'est pas de trop pour les situer quelque part. Trois ans plus tard, c'est un nouveau départ vers une autre pointe extrême du Nouveau Monde, au nom connu, cette fois. Reste à s'y rendre.
Et qu'est-ce qui pousse un Finistérien à quitter son sol et à laisser des êtres chers, sinon pour aller voir encore où finissent les terres ? Scruter la vie d'autres hommes encore affrontés à une autre - et peut-être la même - immensité du monde ?
Ce qui m'intéresseAjoutant [p.59]
Ce n'est pas tant le voyage lui-même
Les destinations
Les rencontres
Mais la manière dont il me transforme
Le joie (la peur) que j'éprouve à me transformer
A devenir quelqu'un d'autre que je ne reconnais pas. [p.58]
J'ai besoin d'éprouver le voyage dans ma chair, dans mes veines.Car tout est déjà dans les livres, Y compris le rêve, la surprise, l'étonnement. Encore est-ce une chose de vivre le voyage en voyageur doué, et une autre chose qu'un nouveau livre en naisse, ni journal de bord ni confession, ni exercice d'admiration ni célébration, mais une vibration sincère et forte, une scansion du mystère de pouvoir parler le monde.
Les humains y sont bien présents :
Au petit matin sous le ciel nuageuxTirant d'une visite au musée d'Anchorage des "Leçons de courage" :
C'est une ville étrange qu'Anchorage
Pas un passant je suis le seul homme qui marche
Seulement des voitures
Qui roulent dans de larges avenues
Qui vont vers la mort
Et m'éclaboussent
C'est étrange
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Le soir des oies sauvages d'Alaska se dirigent vers un peu de rose
Dans le ciel qui nous apaise. [p.23]
Ce qui me fascineEnfin comment revient-on de ces horizons extrêmes ? Avec tact, Jean-Claude Caër pose à la fin du livre "Quatre poèmes", que Hantent une femme souffrante, ou non loin de la vigne de Montmartre un enfant angoissé par la mort... Mais c'est aussi la sonnerie du téléphone portable, ou la rêverie, allongé dans l'herbe, regardant "les nuages grandir, se défaire, / Se recomposer en forme d'anges ou de monstres très haut"... Il ne suffit pas de s'en être retourné, il faut encore revenir...
Les tableaux en péritoine de morse de Sonya Kelliher-Combs,
Les masques aux paupières tombantes de Perry Eaton
Cerclés de plumes d'aigle ou de goéland.
Les masques mortuaires de Nicholas Galanin
Porte de vrais cheveux noirs.
Masques de nos ancêtres devenus fantômes.
Masques de porcelaine fins et fragiles.
Notre peuple a souffert,
A vécu dans des conditions terribles... [p.26]
En route pour Haida Gwaii constituait déjà, à soi seul, une manière de chef d’œuvre. Nous voici maintenant devant un doublé qui avec simplicité se hausse à la même hauteur.
Jean-Marie Perret.
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- Sur Secousse, écouter J.-C. et A. Caër lire un extrait d'Alaska (audio 5'17) : Lien
- Sur Terres de Femmes, une lecture d'Alaska par Marie-Hélène Prouteau : Lien
- Autre lecture, due à F. Urban-Menninger : Lien
- Sur Secousse, écouter J.-C. et A. Caër lire un extrait d'En route pour Haida Gwaii (audio 5'17) : Lien
- Sur Terre de femmes, lecture de En route pour Haida Gwaii par Angèle Paoli : Lien
- Jean-Claude Caêr, notice sur le site des Éditions Obsidiane : Lien
1 commentaire:
Transformé par le voyage? Oui,sans doute, mais lorsqu'il est fait sur des périodes conséquentes de solitude, étranger en d'étranges pays, et dans un grand dénuement, ce qui étonne le plus c'est de découvrir en soi des ressources insoupçonnées d'endurance, de persévérance et de croyance en un je ne sais quoi qui nous pousse à marcher encore sans faiblir. En tout état de cause l'oeil poétique, soit sa capacité alchimique, est gage d'allant.
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