vendredi 5 octobre 2007

Louis Aragon



Le poème des poèmes à venir. Aragon avant Aragon... Un Aragon enfoui derrière sa légende, derrière le Manifeste d'André Breton de 1924 (qu'il précède de quelques mois), et non seulement derrière Les cloches de Bâle et Les communistes, mais même derrière Le paysan de Paris et Le fou d'Elsa. Et derrière la geste de Desnos, le rêveur des rêveurs - rêveur forcené, disparu derrière le dernier poste d'aiguillage de Compiègne...

Une vague de rêves, « premier manifeste du surréalisme » ? s'interroge Marie-Thérèse Eychart, dans son excellente postface. Il ferait beau voir qu'on subordonne la littérature à son intérêt quant à l'histoire d'ycelle ! Le feu est mis sous le creuset, les métaux y sont jetés, s'y colorent et métamorphosent. Tout est encore possible. A cet instant, on ne sait encore ce que cela va donner : de l'or ? une créature admirable ? le coeur d'un ange ? L'esprit même se retient, à force de mots fulgurants, phrases térébrantes, rythmes incalculables. Et notons au passage une ponctuation libre comme respirer, pas pour faire genre, non : pour être.
Il m'arrive de perdre soudain tout le fil de ma vie. Je me demande, près d'un café fumant et noir... par quel chemin de la folie j'échoue enfin sous cette arche, ce qu'est au vrai ce pont qu'ils ont nommé ciel...
La prose n'est pas la prose, la langue est ici dans une vraie crise d'envers : « Je saisis tout à coup comment je me dépasse : l'occasionnel c'est moi, et cette proposition formée je ris à la mémoire de toute l'activité humaine... » Rimbaud n'est pas congédié en effet, il inspire (« J'ai vécu dans l'ombre d'une grande bâtisse blanche ornée de drapeaux et de clameurs ») (« Il fallait pour que la surréalité affleurât la conscience humaine d'extraordinaires écoles, et les événements des siècles amoncelés »).
Car le rêve n'est plus déni du monde, mais porte d'entrée majuscule :
Je rêve d'un long rêve où chacun rêverait. Je ne sais ce que va devenir cette nouvelle entreprise de songes.
Et la chute, la célèbre – l'admirable :
Qui est là ? Ah très bien : faites entrer l'infini.

La poésie doit se réapproprier cette Vague, qui est plus qu'un libelle : le poème des poèmes à venir.

Jean-Marie Perret

  • Louis Aragon, Une vague de rêves, 56 p, 10 €. Seghers 2006.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Aragon.. Une bouffée d'air à chaque vers.