jeudi 15 novembre 2007

Michèle Dujardin






Photographie Olivier Roller

Laisse monter, laisse venir, laisse prendre, le pont du rêve est solide, la vision est nette, la délivrance proche, à ta portée, sans combat, sûre

à ta droite les ciels, leurs printemps aux oiseaux clairs, lancés à l'assaut des spirales noires quand tu lèves la tête et que la nuit ils te la déverrouillent, la pénètrent, te l'étoilent de prodiges, comme la mer qu'ils cousent avec ses voiles de sang et ses danses immobiles, dans le vertige clos du baiser...

Le poème de Michèle Dujardin a du souffle, de l'élan, de la portée. Abadôn, du nom du Messager de l'abîme de l'Apocalypse, est un poème en douze chants, dont une Postface situant la première intuition de cette magnifique irruption de rythmes et de cris, son espérance et sa source, dans une amitié d'adolescence face à l'immense baie de Marseille ; sachant alors
Que nous n'aurions pas le choix, que la question même ne se posait pas, que la seule question était voler, voler jusqu'où la parole se mangerait, jusqu'où les mots usés se perdraient, s'oublieraient comme la vieille peau usée du monde
Il y a comme un salut à Saint-John Perse, à Segalen, à Claudel même dans cette ampleur de dire, prose soulevée de rythmes serrés et larges respirant odeur de monde, fragrances maritimes, pays découvert d'âme et de visions :
L'île, si seulement nous avions su en nous penchant un peu tournant la tête, en pluie sur nous ce bleuissoir de la mer, et ces rondes grappes de cris, et même ricochant sur l'écume, la mesure effilée de ce pas des oiseaux, la mer où jamais nos regards ne portèrent, tournant la tête et se penchant un peu, l'île ma soeur, et va d'un champ et vient à l'autre ton regard sur les rocs, la caresse, et va et vient et laisse place nette où mon regard s'éploie...
On voit une grande attention, et même beaucoup de science dans cette façon dont la langue à son tour comme la mer s'éploie, dont l'écriture se retient et s'épand dans un geste aimant, mimant l'univers... Beau livre, que cet Abadôn.
Jean-Marie Perret
  • Michèle Dujardin, Abadôn, Seuil, octobre 2007.

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